COVID19 : Tracer la ligne fine entre la prévention et la stigmatisation à l’encre noir.

Par Stéphane Simporé,
Directeur des Communications et de la Gestion des Connaissances de l’ISDAO.

La pandémie mondiale du COVID19 suscite actuellement plusieurs réflexions analytiques dans divers domaines comme toute profonde crise globale. Malgré que ce moment soit particulièrement tourmenté, difficile, imprévisible et incertain pour chacun-e de nous, c’est pourtant l’opportunité de réfléchir sur les failles de notre système social, économique, politique, et sanitaire comme c’est le cas en ce moment.

Lorsque Caroline la directrice exécutive de ISDAO a eu l’idée que nous rédigions le communiqué de solidarité de l’ISDAO à propos du COVID-19, nous discutions de la façon dont nous pourrons adresser au mieux toutes les questions sensibles, délicates, subtiles et invisibles que cette épidémie allait susciter à l’endroit de nos communautés les plus vulnérables.

Nous avons reconnu que les notions tels que l’isolement, le confinement, la distanciation sociale, etc. ne sont pas nouvelles pour beaucoup de personnes au sein des communautés LGBTQI. Bien que le COVID-19 aggrave cette réalité, la plupart des personnes les ont expérimentés et/ou continuent de les vivre malgré elles.

Nous avons aussi reconnu que la crise du COVID-19 allait affecter le quotidien d’accès aux médicaments et d’autres soins de santé pour des membres de nos communautés.

Portrait de l’auteur de l’article, Stéphane Simporé

Puis, nous nous sommes interrogés-es : Comment pouvons-nous parler de la stigmatisation systémique qui survient durant les pandémies sous le couvert de la prévention ?

La ligne entre les actes de préventions ET la stigmatisation est très fine, voire invisible. Souvent il y’a même une nuance. Dans certains contextes les actes de stigmatisation sont déniés, banalisés et normalisés par les auteurs-es.

Cette question est pertinente, surtout en regardant le contexte historique dans le secteur de la lutte contre VIH/SIDA, particulièrement auprès des groupes de femmes travailleuses de sexe (TS) et des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH) 2 , nous pouvons citer divers cas où la subtilité du langage du traitement préventif ou des attitudes préventives a en fait masqué des actes de stigmatisation.

Par exemple, durant des conversations formelles ou informelles dans les programmes de lutte contre le VIH/SIDA et assimilés, avec des personnes dites alliées, nous pouvions entendre indexer les TS & HSH par : « ces gens-là ». Puis dans la pratique, lorsqu’une personne HSH ou TS arrivaient dans ces espaces publics de santé mais dit « safe », pour une consultation médicale ou tout autre service, le regard dévisageant et insistant sur le corps de la personne par le personnel de santé de cet espace est insoutenable et insupportable. Bien sûr que nous n’oublions pas qu’il y a eu pire : aux premières heures où le VIH/SIDA faisait des ravages, oscillant entre le déni et la stigmatisation, la maladie était appelée le « Cancer des homosexuels » ou la « maladie des femmes de peu de vertus » en faisant allusion aux travailleuses de sexe.

Le COVID19 étant une maladie nouvelle, elle n’allait pas déroger à ces « règles ».

Les premiers cas confirmés de personnes atteintes du COVID-19 dans le monde ont été déclarés en Chine. Depuis, il n’a pas été rare de voir des actes de stigmatisation à l’endroit des personnes chinoises ou ayant des traits similaires. Bien que l’OMS 3 s’est vite dépêchée de trouver un nom officiel à la maladie afin d’éviter la stigmatisation (géographique, ethnique, etc.), à savoir CO-VI-D-19 (Corona Virus Deasease 2019), des personnalités politiques et publiques ont continué – et certaines personnes continuent toujours – d’appeler cette maladie « Virus Chinois ». Puis, on a pu voir d’autres actes souvent tournés en dérision à travers des vidéos comiques faisant un lien particulier entre des personnes chinoises et assimilées et la maladie du COVID-19.

Il faut remarquer tout de même le double standard de cette même OMS qui n’a pas été gênée jusqu’aujourd’hui lorsqu’une certaine maladie aussi meurtrière et dévastatrice a été appelée Maladie à Virus Ebola. Ebola étant le nom d’une rivière en République Démocratique du Congo, en Afrique Centrale, près de la laquelle les premiers cas de la maladie ont été découverts en 1976.

Notons ainsi en résumé que les propos stigmatisants, en plus d’être des paroles blessantes sont très souvent accompagnées d’actes. Pour ne pas oublier que ces paroles, ces appellations, ces termes qui sont utilisés ont une influence profonde sur la visibilité internationale, l’investissement et le niveau de l’engagement philanthropique globale selon la crise du moment.

Comme durant chaque moment de grave crise, les communautés LGBTQI, des personnes vivant avec le VIH, des minorités ethniques ou raciales, et d’autres personnes vulnérables qui sont habituées à expérimenter les actes silencieux de stigmatisation à différente échelle, vont être confrontées à ces actes une énième fois : Nous pouvons déjà entendre plusieurs chefs religieux et d’autres leaders d’opinion accuser les personnes LGBTQI « d’avoir attiré la colère de Dieu ». Depuis, les harcèlements et les autres formes de violences se sont accrus à l’endroit des personnes trans* et d’autres personnes LGBTQI visibles.

Une expérience personnelle récente : Il y’a un peu plus d’un mois, quelques jours avant la fermeture des frontières décidée par plusieurs gouvernements de l’Afrique de l’Ouest, je revenais d’un voyage d’un pays voisin. Lorsque dans l’avion, soudainement j’ai éternué – bien sûr dans mon coude – je pouvais entendre des murmures et voir des gestes de personnes protégeant leur nez d’une façon qu’elles pouvaient pour celles et ceux qui n’avaient pas de masque à leur portée. Puis j’entends une voix à ma droite me demander sur un ton presque menaçant : « avez-vous toussé dans le coude ?». Cela a fait rigoler des personnes autour mais je ne trouvais cela du tout drôle. J’ai répondu de manière sévère que je n’écrirai pas ici. Bien que je comprenne l’angoisse générale que génère le COVID-19 dans ce contexte d’incertitude, de peur, de désinformation et de surconsommation de l’information, cette expérience frustrante m’a fait réfléchir et observer.

Nous devons insister qu’il est important d’être observant-e vis-à-vis des symptômes du COVID-19 et de se protéger selon les consignes recommandées. Toutefois, il est nécessaire de garder de l’intelligence, la bienveillance, de la compassion et de la solidarité en ce moment trouble pour tout le monde.

La gestion humaine de cette crise y compris le respect strict des mesures préventives appelle à un agissement en ayant égard à toutes les valeurs sociales sans stigmatiser une région, une communauté, un individu. Rappelons : en temps de crise, la résilience ne peut pas et ne doit pas être acquise au prix de la marginalisation et des plus vulnérables.

Et il en faudrait aussi de la résilience pour l’autre challenge qui vient : l’après COVID-19 !

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