La soixante-huitième session de la Commission de la condition de la femme des Nations unies (CSW68) s’est tenue du 11 au 22 mars, avec pour thème central « Accélérer la réalisation de l’égalité des sexes et l’autonomisation de toutes les femmes et les filles en s’attaquant à la pauvreté et en renforçant les institutions et le financement dans une perspective d’égalité entre les hommes et les femmes ». 

L’ISDAO fait partie des nombreuses organisations de la société civile du monde entier qui ont organisé des centaines d’événements parallèles dans le cadre du forum de la CSW des ONG. Ces événements parallèles permettent aux OSC et aux activistes de se rencontrer, de se mettre en réseau et de plaider en faveur du thème central retenu par la Commission de la condition de la femme (CSW) pour l’année en cours.

Nous avons organisé une première table ronde en présentiel à New York, intitulée « Protocole de Maputo @20 : plaider la cause des femmes LBTQ Africaines », à laquelle ont participé quatre défenseur-ses des droits humains originaires du Libéria, de l’Ouganda, du Nigéria et du Kenya. La discussion a mis en lumière les limites de l’application du protocole de Maputo en ce qui concerne les personnes LBTQ et intersexes, ainsi que les différentes manières d’utiliser le protocole pour promouvoir la cause des femmes africaines dans toute leur diversité.

Fadekemi Akinfaderin, Chargée de plaidoyer au niveau mondial à Fòs Feminista, qui a participé au panel de discussion virtuel, a insisté sur l’importance du protocole, déclarant que les organisations féministes et les organisations de la société civile (OSC) doivent le promouvoir en tant qu’instrument fondamental de promotion et de défense des droits humains.

Nous devons hisser ce protocole au rang d’instrument de promotion et de défense des droits humains, un instrument qui garantit nos droits. Cet instrument ne répond peut-être pas à toutes nos attentes, cependant c’est un des outils les plus progressistes qui soit en matière de droits humains, surtout en ce qui concerne la protection des femmes, des jeunes filles et des personnes à l’expression de genre différent sur le continent africaines.

Fadekemi Akinfaderin

À la suite des discussions sur les limites de l’application du protocole, la modératrice s’est tournée vers la recherche de pistes de réflexion, en demandant aux panélistes ce que les associations LBTQ devraient faire dès à présent pour façonner l’avenir.

Seanny Odero, la Directrice Exécutive de Trans* Alliance Kenya, a parlé de la nécessité pour les associations LBTQI de procéder à une réforme du secteur public :

À quel point sommes-nous déterminé-es à travailler avec les collectivités locales et à procéder à des réformes du secteur public ? Ce sont les questions élémentaires que nous devons nous poser. On ne peut pas parler de transformation du gouvernement sans parler de transformation du secteur public. Nous devons interpeller les bonnes personnes.

Seanny Odero

La deuxième session intitulée « Se réapproprier les valeurs africaines : Déconstruire les idées fausses sur le féminisme, la santé sexuelle et reproductive, les droits des femmes LBTQ et des personnes intersexuées et leur non-alignement avec les “valeurs africaines”» s’est penchée sur la manière abusive dont le terme “valeurs africaines” est utilisé pour restreindre les droits des personnes LGBTQ+ et intersexuées. Organisée virtuellement, cette session a permis la participation de communautés et de partenaires ouest africains qui autrement n’ont pas pu ou qui n’auraient pas été en mesure d’assister à la CSW en personne.

Des défenseur-ses des droits humains originaires du Ghana, du Togo, du Nigeria et du Sénégal ont participé à une discussion interactive, réfutant l’idée selon laquelle les droits des personnes LGBTQ+ et intersexuées seraient en contradiction avec les « valeurs africaines ».

Dès le début de la discussion, l’Artiste et Activiste Va-Bene Elikem Fiatsi remet en question la notion d’une identité africaine singulière, déclarant que « la singularisation de l’Afrique et la soi-disant identité homogène de l’Afrique en elle-même est coloniale ». Elle a également souligné l’importance de la diversité dans le panafricanisme.

Le panafricanisme ne signifie pas que tou-tes les Africain-es doivent se conformer à une seule et même identité. Notre diversité est notre force, et nous devons reconnaître et apprécier cette richesse.

Va-Bene Elikem Fiatsi

Awa Fall Diop, Militante féministe, a mis l’accent sur les valeurs fondamentales du continent que sont « la paix, la cohésion et l’entraide », soutenant que l’acceptation et l’amour sont des éléments fondamentaux de l’identité africaine.

Nos valeurs sont axées sur la paix, la cohésion et l’entraide. Nous avons des défis à relever, mais nous nous acceptons et nous nous aimons. Ce sont les valeurs de ce continent (l’Afrique).

Awa Fall Diop

Malgré la représentation limitée des communautés LGBTQI et des travailleur-se-s du sexe d’Afrique de l’Ouest à la CSW, quelques activistes de la région ont participé à la CSW68. Celleux-ci partagent ici leurs réflexions sur leurs expériences, leurs défis et leurs aspirations pour l’avenir.

Marie-Josiane TRA Lou
Responsable de Programmes et de Projets, Initiative Tilé

Marie-Josiane TRA Lou est une avocate et militante féministe ivoirienne. Conseillère juridique et gestionnaire de patrimoine, elle est responsable des programmes et projets d’Initiative Tilé, une association de femmes LBQ. Elle est animatrice radio et responsable des programmes et des ressources humaines de Radio Tilé, la web radio de l’organisation. Elle est la coordinatrice intérimaire de RIF-LBQ et a participé à la mission de plaidoyer de Feminist Opportunities Now (FON) lors de la CSW68.

J’ai eu l’opportunité de représenter mon association, Initiative Tilé, à la CSW68 grâce au projet Feminist Opportunity Now, l’un de nos partenaires. Ce fut un moment enrichissant, même s’il faut avouer que l’on peut avoir du mal à se retrouver dans cet espace sans connaissances préalables ou sans formation préalable sur la manière d’interagir avec les différentes parties prenantes, de tirer pleinement parti des sessions et des événements parallèles, et de plaider et/ou de s’inspirer des autres pour défendre la cause commune que sont les droits des personnes LGBTQI+.

Il y avait très peu, voire pas du tout, d’activistes LBQ d’Afrique de l’Ouest, en particulier francophones, en raison de l’utilisation prédominante de la langue anglaise dans l’espace, mais ceci constitue une erreur monumentale, car cela nous prive de pénétrer un espace qui recèle de nombreuses opportunités de collaboration et de formation d’alliances, un espace dans lequel nous devons être visibles en tant que femmes LBQ, et où très peu de discours traitent spécifiquement des défis auxquels notre communauté est confrontée. Quel que soit notre niveau, nous n’avons rien à perdre à participer, bien au contraire, tant que nous ne venons pas en touristes ou en vacances, tous frais payés, mais avec un désir ardent d’apprendre.

Il est important que les partenaires promeuvent l’implication significative des organisations, des activistes et des militant-es LBQ dans les mécanismes internationaux des droits humains, afin de traduire ces diverses politiques en structures d’action et de gouvernance au niveau local, et d’obtenir des réformes.

Fatumata Binta Sall
Fondatrice et Directrice Exécutive de Sisters 4 Sisters

Fatumata Binta Sall est une militante musulmane qui défend les droits des personnes LBTQ et une féministe intersectionnelle. En tant que fondatrice et directrice exécutive de Sisters 4 Sisters (Liberia), Binta se consacre à la défense de l’inclusion des personnes lesbiennes, bisexuelles, queer, trans et non binaires dans les programmes de soins de santé et d’autonomisation à travers le Liberia. Binta est également coprésidente du réseau des femmes défenseuses des droits humains au Liberia et membre du Forum féministe libérien.

Je suis extrêmement reconnaissante à l’ISDAO de m’avoir donné l’occasion de participer à la CSW68. Au départ, naviguer ce forum s’est révélé être un défi, en particulier celui de trouver des sessions en lien avec mon travail. En tant qu’activistes LBTQ du Liberia, notre visibilité dans l’espace international est limitée, ce qui rend difficile l’obtention d’un financement pour nos initiatives. J’espère qu’à l’avenir, l’ISDAO pourra collaborer avec nous à l’avance, et éventuellement organiser un événement parallèle axé sur le financement et l’inclusion des organisations LBTQ en Afrique de l’Ouest. Au milieu de ces défis, la rencontre avec le Caucus LBTI a été passionnante. Le fait d’échanger avec ces militant-es du monde entier a renforcé mon engagement en faveur d’un plaidoyer inclusif, et le fait de représenter le Liberia a réaffirmé mon dévouement, me permettant de mettre en lumière les défis LGBTQIA+ et de renforcer la nécessité d’un plaidoyer inclusif.

L’un des aspects les plus intéressants de la conférence pour moi a été de rencontrer des activistes de la région ainsi que des Caraïbes. Le fait d’entendre parler de bailleurs de fonds potentiels a également été très instructif. Cependant, je regrette de ne pas avoir été informée à l’avance de toutes les sessions qui se rapportaient à mon travail. Cette expérience a mis en évidence l’importance de travailler en réseau et de rester informé-e des opportunités pertinentes. J’ai l’intention de mieux planifier ma participation à la conférence de l’année prochaine.

Le soutien de l’ISDAO est essentiel pour que la participation des activistes à des conférences similaires permette d’assurer une représentation diversifiée et de renforcer les efforts de plaidoyer sur des questions essentielles. Sans aide logistique, de nombreuses voix, en particulier celles des communautés marginalisées, ne seraient pas entendues.

Justin Chidozie
Co-directeur Exécutif, CHEVS

Justin Chidozie est un fervent défenseur de la justice sociale et du développement durable. Avec une expérience en matière de mobilisation communautaire et de relations internationales, il se consacre à la promotion de l’égalité des personnes LGBTQI. Le travail de Justin touche divers secteurs, dont l’éducation, les soins de santé et les droits humains. Par ses efforts de plaidoyer et ses initiatives locales, il œuvre à soutenir la jeunesse LGBTQI.

Je suis le co-directeur exécutif de CHEVS, une association de jeunes qui se consacre à la promotion des droits et du bien-être des communautés de jeunes LGBTQ+ et des travailleur-ses du sexe en Afrique de l’Ouest. Lors de la CSW68, j’ai assisté à certaines négociations, au cours desquelles nous nous sommes heurtés à de nombreuses oppositions sur les questions financières, telles que les réformes fiscales, la justice en matière de dette, etc.  On nous a dit que la CSW n’était pas l’endroit idéal pour ce genre de langage, alors que nous devons nous pencher sur l’impact du genre et sur les causes premières de la pauvreté, comme nous l’avons entendu de la part de nombreux-ses autres jeunes.

Une autre chose qui m’a marquée a été la participation de la jeunesse africaine à l’espace, en particulier la façon dont les activistes africains LGBTQI+ ont pris les choses en main et ont collaboré avec d’autres personnes LGBTQI+ du monde entier pour plaider au sein de l’espace. Cela montre que la construction d’un mouvement et la collaboration entre le Nord et le Sud de la planète sont porteuses de force.

J’ai également été ravi de prendre la parole lors de différents panels sur l’intégration des jeunes et des personnes queers dans les conversations plus larges qui ont eu lieu lors de la CSW. La CSW de cette année était très importante, car la question de l’injustice économique est primordiale au sein du mouvement LGBTQI, car la privation des droits économiques est un moyen utilisé pour opprimer et marginaliser les personnes LGBTQI. La Commission de la condition de la femme est un espace très important pour les activistes, en particulier les activistes africain-es qui, malheureusement, sont confronté-es à des obstacles tels que l’inégalité des passeports et les restrictions de visa qui les empêchent de participer à de tels espaces. J’espère que nous verrons bientôt une meilleure représentation des femmes et des activistes africain-es queer dans l’espace de la CSW.

Pour en savoir plus
Conclusions concertées à l’issue de la CSW68
Protocole à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples relatif aux Droits des Femmes (Protocole de Maputo)

Écrit par Phidelia Imiegha (Chargée de communication)

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