Guide pour naviguer les espaces féministes et de défense des droits des femmes: Le parcours d’un-e activiste LBQ à la CSW69

Par Fatumata Binta Sall

Participer à la 69e session de la Commission de la condition de la femme (CSW69) des Nations unies, moi, femme bisexuelle venant du Liberia, un pays majoritairement chrétien, est plus qu’un simple accomplissement professionnel : c’est quelque chose de profondément personnel. Pour moi et pour la communauté que je représente, cela a été un moment d’une importance capitale. Une opportunité de visibilité pour le mouvement libérien. Une place à une table dont nous avons longtemps été tenu-es à l’écart.

Depuis dix ans, je travaille pour le mouvement LGBTQI+ au Liberia, où je milite pour le respect de nos droits, l’inclusion, l’accès aux services et notre dignité face à l’hostilité, aux préjugés culturels, à la marginalisation systémique et aux lois anti-LGBT. Pendant toutes ces années, participer à un événement comme la CSW semblait être un rêve lointain ou quelque chose qui ne se réaliserait jamais. Les espaces de ce type sont souvent dominés par les voix kenyanes, ghanéennes et nigérianes, des voix provenant de pays disposant de réseaux plus solides et d’un meilleur accès aux plateformes mondiales.

La représentation LGBTQI+ de l’Afrique de l’Ouest à la CSW a toujours été minime, voire inexistante. Pas parce qu’on ne dispose pas de l’information, mais surtout parce que nous ne disposons pas de ressources suffisantes et des accès nécessaires. Participer à la CSW nécessite de surmonter des obstacles logistiques, financiers et bureaucratiques. Tout d’abord, vous devez assurer la prise en charge des vols, de l’hébergement, de la nourriture, etc. Puis, il y a la procédure de demande de visa. Pour beaucoup d’entre nous originaires d’Afrique de l’Ouest, les demandes de visa impliquent de longs délais d’attente, une grande incertitude et, trop souvent, des rejets. Le système n’est pas fait pour nous. Alors, quand, contre toute attente, vous obtenez le visa et que vous montez à bord de l’avion, c’est ni plus ni moins qu’une victoire.

Ma première participation à la CSW — CSW68

Ma première expérience à la CSW a eu lieu lors de la 68e session en 2024. Je suis entré-e dans le Church Center for the United Nations (CCUN), un espace interconfessionnel situé en face du siège de l’ONU, à la fois tout-e fièr-e et quelque peu intimidé-e. Entouré-e de féministes, de diplomates et d’activistes du monde entier, je représentais non seulement mon organisation, mais aussi les femmes queers d’Afrique de l’Ouest, dont bon nombre n’ont jamais été invitées dans ces espaces.

Alors que je m’approchais de la table réservée aux panélistes, j’ai ressenti une énorme vague de fierté, mais aussi un sentiment grandissant de syndrome de l’imposteur. Les personnes comme moi sont rarement [présentes et] représentées dans de tels espaces. Aussi étrange et peu familier que cela puisse paraître, j’ai dû me débarrasser de ces pensées négatives et me rappeler les années de travail qui m’avaient conduit-e là. J’avais gagné ma place, je méritais d’être dans cette salle.

Mais la vérité crue, c’est que tant d’autres personnes comme moi, des activistes brillant-es, des mobilisateur-rices passionné-es, ont travaillé d’arrache-pied et n’ont jamais eu l’occasion de participer, et encore moins de prendre la parole sur un panel. Elles n’ont pas l’occasion de nouer des contacts avec d’autres militant-es, d’apprendre d’elleux ou de rencontrer des bailleurs de fonds potentiels qui pourraient soutenir leurs actions communautaires. Pourtant, c’est souvent dans ces espaces que se nouent les liens qui peuvent changer des vies.

J’ai eu, quelquefois, du mal à me retrouver dans les conversations. Le langage, le ton et les sujets ne tenaient pas toujours compte des réalités des personnes LGBTQI+, et encore moins de celles d’une personne originaire d’un pays comme le Liberia. Malgré tout, ce fut une phase d’apprentissage très enrichissante. J’ai été très attentif-ve, j’ai établi des liens et j’ai commencé à comprendre comment ces mécanismes mondiaux fonctionnent et comment ils excluent si souvent des personnes comme moi, pas de manière intentionnelle, mais par défaut.

Cette expérience a fait naître en moi un feu ardent. Elle m’a redonné le sens de l’objectif et m’a permis de mieux comprendre comment parfaire mon plaidoyer pour que d’autres personnes comme moi ne se contentent pas de rêver de se retrouver dans de tels espaces, mais qu’elles aient [une fois sur place] la chance d’être vues, d’être entendues et d’être incluses.

CSW69 — Retour en force

Le retour à la CSW69 a été bien différent. J’étais mieux préparé-e pour cette édition. Plus confiant-e. Cette fois, je suis venu-e non seulement en tant que participant-e, mais aussi en tant que contributeur-rice. Je me suis joint-e à des événements parallèles, j’ai tissé des liens avec d’autres féministes queers et j’ai partagé avec audace mes expériences de femme bisexuelle qui travaille en première ligne au Liberia. Je me suis retrouvé-e à plaider non seulement pour l’inclusion, mais aussi pour le changement structurel, en appelant à un accès équitable au financement, à un accompagnement lors des demandes de visas et à une plus grande représentation des activistes des pays où nos voix sont souvent réduites au silence.

L’un des principaux enseignements tirés de la CSW69 a été la prise de conscience que participer à la CSW ne consiste pas seulement à représenter ma communauté ou à donner de la visibilité au mouvement dans mon pays. C’est aussi l’occasion de collaborer avec d’autres acteur-rices du mouvement en Afrique de l’Ouest afin d’amplifier notre travail et de partager nos réalités vécues. Les mouvements d’autres régions, comme l’Afrique de l’Est, l’Asie et les Caraïbes, utilisent depuis longtemps l’espace de la CSW pour renforcer la solidarité, accroître leur visibilité et créer une réelle dynamique. En revanche, l’Afrique de l’Ouest reste encore sous-représentée.

À l’exception du Nigeria, qui depuis quelques années est régulièrement représenté par les mêmes personnes, la majorité des pays de la région jouissent de très peu de visibilité dans cet espace. Ceci témoigne clairement à quel point les pays d’Afrique de l’Ouest doivent davantage s’impliquer dans les forums d’envergure mondiale tels que la CSW, afin que nous puissions nous-mêmes écrire notre propre histoire et que nous puissions ainsi mieux faire entendre nos voix sur le plan international.

Naviguer les espaces féministes et les groupes de promotion des droits des femmes

Le fait que je m’engage aujourd’hui dans le cadre de la CSW ne tient pas du hasard. J’ai passé des années à me sentir invisible, incompris-e et exclu-e, et pas seulement dans les forums internationaux, mais aussi au sein des mouvements féministes de mon pays, qui souvent, ne considèrent pas les droits des personnes LGBTQI+ comme faisant partie intégrante de la justice de genre. Au fil du temps, j’ai compris que nous devions nous frayer un chemin dans ces espaces. Non seulement pour qu’on nous voie, mais aussi pour pouvoir influencer l’ordre du jour.

Vous vous demandez peut-être comment j’arrive à naviguer les espaces féministes et de défense des droits des femmes. Laissez-moi vous dire que cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. On ne m’a pas gracieusement fait place à la table. J’ai dû m’y imposer. Bien souvent, on ne vous y invite pas. Et même lorsque vous vous y retrouvez, ces espaces peuvent être intimidants, voire effrayants. Il y a toujours le risque d’être démasqué-e, d’être incompris-e ou carrément discriminé-e par des personnes qui luttent elles-mêmes contre l’oppression, mais qui ne reconnaissent pas la vôtre.

Une chose que j’ai apprise est la suivante : si vous voulez être traité-e comme un-e égal-e, vous devez vous positionner comme un-e égal-e. Personne ne vous fera rentrer dans ces espaces. Nous devons en réclamer l’accès, non pas de manière hostile, mais avec égard pour celleux qui ne comprennent pas encore pleinement les luttes des communautés LBQ+. Faire preuve de respect ne signifie pas que nous devons nous taire. Cela sous-entend de notre part que nous nous engageons de manière significative.

Chaque fois que je me retrouve dans ces espaces, j’essaie d’initier le dialogue, et pas juste faire acte de présence. Je sensibilise, en particulier en ce qui concerne les notions d’orientation sexuelle et d’identité et d’expression de genre (OSIEG). Je prends le temps d’aider les autres à comprendre les réalités vécues qui se cachent derrière les étiquettes. Et lentement, bien souvent douloureusement, j’arrive à faire disparaître certaines des perceptions négatives qu’iels ont de la communauté LGBTQ+. C’est ainsi que nous avançons, non pas en attendant qu’on nous accueille [à bras ouverts dans ces espaces], mais en y entrant d’un pas déterminé, tout en cherchant à susciter la compréhension.

La participation à la CSW n’est pas une fin en soi. C’est un outil, un espace pour nouer des alliances, influencer les politiques et défier le discours selon lequel les personnes LGBTQI+ africaines ne sont que des victimes. Nous sommes des leaders, des penseur-ses et des acteur-rices du changement. Et notre présence dans des plateformes mondiales telles que la Commission de la condition de la femme est essentielle si nous voulons passer du simple acte de présence, purement symbolique, à un engagement porteur de transformation.

Si vous êtes un-e militant-e LGBTQI+ et que vous rêvez d’assister à la CSW, sachez que ce n’est pas impossible, mais que cela demande de la planification, du soutien et de la résilience. Commencez par vous mettre en rapport avec des organisations susceptibles de parrainer votre participation. Faites vos demandes de visas à l’avance. Apprenez le langage du plaidoyer mondial.

Et surtout, ne laissez pas les complexités de ce processus vous faire douter de la légitimité de votre présence. Vous êtes au bon endroit. Je suis au bon endroit. Et j’y resterai, pas seulement pour moi, mais aussi pour toutes ces femmes africaines queers qui se battent encore pour se faire entendre.

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Fatumata Binta Sall (elle/iel) est un-e militant-e des droits humains et un-e féministe intersectionnel-le. En sa qualité de fondateur-rice et directeur-rice exécutif-ve de Sisters 4 Sisters (Liberia), Fatumata Binta porte un intérêt particulier à la promotion de l’inclusion des femmes marginalisées, y compris les femmes lesbiennes, bisexuelles, queers, trans, non binaires, vivant avec le VIH et travailleuses du sexe, dans les programmes de soins de santé et d’autonomisation au Liberia. Fort-e d’une dizaine d’années d’expérience en tant que défenseur-se des droits humains, Binta œuvre ardemment à faire avancer le mouvement LBTQ ouest-africain, en accordant une attention particulière aux jeunes femmes et filles queers.

Binta est titulaire d’un diplôme en santé et droits sexuels et reproductifs de l’université de Lund, en Suède, et détient un certificat en premiers secours psychologiques de l’université Johns Hopkins. Actuellement, Binta est coprésident-e du Women’s Human Rights Defenders Network of Liberia (réseau des femmes défenseuses des droits humains du Liberia) et a participé à l’International Visitor Leadership Program (IVLP), un programme d’échange de premier plan mis en place par le département d’État américain. Binta est également membre du Liberian Feminist Forum.

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